MTP, MTPV : les « bêtes de chantier » Somua
Au sortir de la 2e guerre mondiale, les travaux de reconstruction et de modernisation du territoire génèrent un besoin important de gros engins spéciaux et « bennes de carrière ». Certes, à partir de 1956, Berliet va sortir plusieurs véhicules appropriés mais en 1948, seul Willème propose une gamme spécifique face aux matériels américains, très majoritaires sur les chantiers. Ce secteur, délaissé mais prometteur va intéresser une autre marque française : SOMUA.
Un nouveau moteur plein de promesses
Entre 1945 et 1949, Somua est loin de pouvoir fabriquer du lourd matériel de chantier. Pire ! intégré dans le cadre du plan Pons à l’Union Française Automobile (U.F.A) aux côtés de Panhard et de Willème, il n’est autorisé à produire que des camions de taille intermédiaire (8 à 10 tonnes). Cette union imposée s’avère pourtant très profitable à Somua qui prend un charge la fabrication d’un moteur d’origine Panhard : la version 6 cylindres du type 4HL licence Lanova.
Développant une belle puissance de 150 ch, ce moteur baptisé D615 permet à Somua la modernisation de sa gamme routière et lui ouvre également des perspectives dans le créneau peu exploité des véhicules à usage sévère. Dès la fin du plan Pons et le retour à une économie de marché, les ingénieurs Somua vont tenter l’aventure et plancher sur un prototype de camion « benne de carrière » qu’ils nommeront MTP.
Un véhicule aux qualités indéniables
Inspiré du lourd dumper TE15 Willème qu’il espère concurrencer, le MTP affiche toutefois ses différences : légèrement plus petit et pourvu d’une suspension à l’arrière, il peut circuler sur la voie publique comme un camion ordinaire. Le châssis est réalisé sur une base renforcée du Somua JL17-150 auquel il emprunte l’essentiel de la chaîne cinématique. Étant donnée la vocation « chantier » du véhicule, il était hors de question d’opter pour une cabine avancée, trop fragile et exposée aux chocs. Rustique et de fabrication simple, la cabine retenue présente un look très semblable à celle du Willème.
Les atouts principaux du MTP sont un solide châssis soudé en tôle d’acier de 12 mm d’épaisseur, un essieu avant forgé d’une seule pièce, spécialement étudié pour résister aux chocs, mais surtout une excellente suspension où les ressorts à lames sont reliés au châssis par des blocs de caoutchouc logés dans des boîtiers d’acier. La cabine repose également sur des blocs en caoutchouc. Appelés « silentbloc » ces dispositifs évitent l’usure prématurée du véhicule et des organes, confrontés aux chocs répétés des conditions d’exploitation difficiles.
Un camion confronté à la dure réalité économique
Fin 1952, le MTP, porteur benne 4×2 de 10 tonnes de charge utile, voit le jour. Il est suivi quelques mois plus tard par le MPTV, une version 6×4 donnée pour 15 tonnes de charge utile. Conçus tout spécialement pour le travail sur chantiers extrêmes, ils ne rencontrent cependant pas le succès escompté car ils souffrent de deux gros défauts : leur prix élevé et une capacité de chargement trop faible, ce qui les met en concurrence avec des véhicules classiques, certes moins résistants mais plus abordables à l’achat. De nombreux entrepreneurs achètent notamment les camions des surplus américains (GMC, Diamont T, White…). Une fois diésélisés et équipés d’une benne, ils offrent une charge utile analogue pour un prix défiant toute concurrence.
Afin de compenser la faible capacité de ses premiers modèles, Somua propose une augmentation de la taille des pneumatiques, permettant de charger davantage le véhicule. Un nouveau pont arrière renforcé va rapidement s’avérer nécessaire pour garantir la longévité et la robustesse du châssis : d’un diamètre supérieur, il peut recevoir un réducteur dans les moyeux, ce qui soulage la mécanique en usage sévère. En 1955, nantis de ces améliorations, le MPT et MTPV prennent le nom de MTP3 (12 tonnes de C.U) et MTPV3 (18 tonnes de C.U).
Déclinés en tracteur et proposés en plusieurs longueurs, ils peuvent être livrés avec deux types de bennes de chantier (La Lilloise ou Marrel) mais aussi recevoir une plateforme pour charge indivisible, un plateau ridelle, un malaxeur, une semi-remorque, une citerne, etc.
Chronique d’un déclin prévisible
Les MTP3 et MTPV3 vont connaitre une diffusion honnête mais assez limitée, imputée en partie aux lacunes du service commercial et des concessionnaires Somua, peu habitués à démarcher efficacement les exploitants de carrières ou les grandes entreprises de travaux publics. Contrairement aux espoirs nourris par Somua quelques années plus tôt, les MTP, MTPV n’arriveront pas à concurrencer Willème qui, de son côté, modernise et étoffe sa gamme. La constitution de Saviem LRS* va précipiter leur fin. Saviem s’oriente en priorité vers une gamme routière basse et intermédiaire, délaissant le marché de niche des gros véhicules spéciaux dans lequel Berliet va s’engouffrer avec le succès qu’on sait. Toujours trop chers face à la concurrence, les ex-Somua MTP – MTPZ sont laissés pour comptes : ils n’évoluent plus, leur motorisation reste inchangée et ils souffrent désormais de la concurrence implacable des tout nouveaux Berliet GBO 6×4 et 6×6, plus modernes et plus puissants. Après 4 ans de sursis, ils disparaissent du catalogue en 1960.
* Constitué en 1955, SAVIEM LRS regroupe Latil, Somua et le département « poids lourds » de la régie Renault
Épilogue : Entre 1968 et 1978, Saviem va renouer avec le matériel lourd de chantier en commercialisant une gamme de camions « travaux publics » MAN sous sa marque mais ça, c’est une autre histoire.